SYDNEY CHICHE-ATTALI ET EMMANUEL PIERRAT
Le 5 décembre dernier, le ministre de la Culture a présenté le projet de loi sur l’audiovisuel proposant notamment la fusion du CSA et de la HADOPI en un organe qui aura un rôle déterminant dans la lutte contre le piratage, l’ARCOM.
L’ARCOM, fusion du CSA et de la HADOPI
L’un des axes du « projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique » est de procéder à une rénovation importante de la régulation du secteur de l’audiovisuel à l’ère numérique.
Parmi les éléments majeurs du projet, il est prévu la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), issue de la fusion du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) au sein d’un organe unique.
Le projet de fusion se justifie notamment par l’apport de l’expertise technique et juridique de la HADOPI au CSA afin d’assurer ses missions de contrôle du respect des conventionnements des chaines et des stations, de sauvegarde de pluralisme et de protection des publics sur Internet.
En effet, le CSA a historiquement pour mission la promotion de la diversité culturelle, la sauvegarde de l’indépendance des médias et du pluralisme à la radio et à la télévision.
La HADOPI a été créée, quant à elle, pour lutter contre le piratage en ligne sur les réseaux pair à pair (P2P) et promouvoir les offres légales de contenus sur Internet.
En prévision de cette fusion, les présidents des deux entités devraient réunir, tous les trimestres, un comité stratégique chargé d’arbitrer les grandes orientations de la fusion.
Les deux autorités devront d’abord dresser un état des lieux des ressources humaines, du budget, ou encore des systèmes d’information afin de définir des solutions organisationnelles permettant d’assurer la meilleure synergie.
Ainsi, au cours de l’année 2020, des mutualisations devraient d’ores et déjà être mises en œuvre en prévision de la fusion.
La création de cet organe de régulation unique permettra également d’assumer les nouvelles missions qui étaient octroyées au CSA par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information et la proposition de loi relative à la lutte contre la haine sur Internet.
Par ailleurs, l’instauration d’une autorité unique dédiée à la régulation des contenus audiovisuels sur tous les médias, se justifie dans un contexte où il est nécessaire de mettre en place des moyens et des procédures pour lutter plus efficacement contre le piratage en ligne.
Le renforcement de la lutte contre le piratage par l’ARCOM
Un rapport d’octobre 2018 sur la régulation du secteur de l’audiovisuel, faisait état du chiffre de 1,35 milliard d’euros de pertes pour l’industrie liées à la consommation de contenus audiovisuels illicites, soit l’équivalent du chiffre d’affaires des exploitants de cinéma.
Il y était relevé qu’alors que soixante-cinq millions de vidéos illégales sont consultées chaque mois en France, et que seize millions de plaintes d’ayants droit ont été adressées à la HADOPI en 2017, seules quatre-vingt-huit amendes ont été infligées, dont une seule dépassant le montant de 2.000 euros.
Dans le projet de loi sur l’audiovisuel présenté le 5 décembre dernier, il est prévu que l’ARCOM récupère les anciens pouvoirs de l’HADOPI ainsi que de nouveaux pouvoirs afin de renforcer la lutte contre le piratage.
L’ARCOM, pourra être saisie par les organismes de gestion collective (la SACEM, la SCPP, etc.), par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ou par les organismes de défense professionnels (comme l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle).
L’Autorité administrative pourra également agir sur la base d’informations transmises par le procureur de la République ou à l’appui d’un constat d’huissier établi à la demande d’un titulaire de droits.
En effet, le projet de loi ouvre la possibilité pour les titulaires de droits de saisir directement l’ARCOM en s’appuyant sur un constat d’huissier en bonne et due forme.
L’ARCOM disposera également, comme la HADOPI, d’agents assermentés aptes à recevoir les signalements de contenus contrefaisants en ligne, envoyés notamment par les sociétés de gestion collective.
Ces saisines pourront conduire à l’envoi de lettres d’avertissement et de courriels aux adresses électroniques identifiables.
Les agents assermentés pourront également constater sur Internet les faits de contrefaçon et pourront « participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de se rapporter à ces infractions ».
Ils pourront également copier et conserver des contenus, ou encore « acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission d’actes de contrefaçon », susceptibles d’être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires.
Le projet de loi sur l’audiovisuel entend également renforcer la lutte contre les sites contrefaisants, notamment en combattant plus efficacement les « sites miroirs ».
Le durcissement des actions contre les « sites miroirs »
Le texte proposé par le ministre de la Culture prévoit de faciliter le déréférencement et le blocage des « sites miroirs » redirigeant vers des contenus contrefaisants.
Comme le rappelle l’étude d’impact du texte de loi, les « sites miroirs » sont des sites qui reproduisent le contenu des sites bloqués ou déréférencés, ou bien redirigent les internautes vers une adresse différente de celle bloquée par décision de justice.
A ce titre, l’ARCOM sera en charge d’assurer le respect des décisions judiciaires de blocage interdisant « la reprise totale ou partielle d’un contenu portant atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ».
En pratique, l’ARCOM pourra conclure des accords notamment avec les ayants droit, afin de rendre plus effectives les décisions judiciaires de blocage.
En effet, à la demande des titulaires de droits, l’Autorité pourra contacter les fournisseurs d’accès internet, les fournisseurs de noms de domaine ou les moteurs de recherche pour demander le blocage ou le déréférencement des « sites miroirs ».
Par surcroît, le projet du 5 décembre 2019 prévoit la publication d’une liste noire des sites pirates par l’ARCOM qui permettrait d’assurer l’identification des « sites miroirs » ou de contournement et ainsi de favoriser l’application concrète des décisions de justice de blocage.
Ainsi, la création de l’ARCOM, et l’octroi de nouveaux pouvoirs à cette entité, pourraient potentiellement permettre l’avènement d’une autorité administrative à la mesure des enjeux que représente le piratage en ligne pour l’audiovisuel et le cinéma français.
Il faut a minima espérer que la loi sur l’audiovisuel sera à la hauteur de l’urgence actuelle et que l’autorité administrative indépendante qui en résultera se saisira de ses nouveaux pouvoirs pour combattre le piratage des œuvres sur Internet.