Sydney CHICHE-ATTALI & Emmanuel PIERRAT
Face un écosystème audiovisuel à deux vitesses, qui impose un cadre trop contraignant aux acteurs historiques et un cadre trop souple aux acteurs du numérique, l’urgence culturelle et économique est certaine.
C’est également le constat qui ressort des travaux de la mission d’information sur une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique, conduite par la députée Aurore Bergé depuis février dernier (dont le nom circulait, en octobre, pour succéder à François Nyssen).
Au terme de l’audition de deux cent vingt-deux représentants du monde audiovisuel, un rapport contenant quarante propositions a été présenté par la Rapporteure le 4 octobre dernier.
Ce constat, attendu par l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel, s’inscrit dans le cadre de la transposition de la directive européenne Services de médias audiovisuels (SMA) qui vise à adapter les règles régissant l’audiovisuel à l’ère numérique.
La loi de transposition, qui devrait être adoptée dans le courant de l’année 2019, va être l’un des enjeux majeurs de politique culturelle du quinquennat Macron, si tant est qu’il en existe une…. La nomination de Franck Riester, connaisseur de l’audiovisuel et du droit d’auteur, au ministère de la Culture, le 16 octobre dernier, en est en tout cas l’affirmation.
Le nouveau ministre aura toutefois la lourde tâche de porter la grande refonte de la régulation audiovisuelle nécessaire pour l’adapter aux nouvelles réalités d’un secteur toujours régi par la loi, sans doute obsolète, relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986.
Comme le relève le rapport, la loi de 1986, qui a connu plus de quatre-vingts interventions législatives pour s’adapter aux enjeux de ces trente dernières années, n’est en effet plus en mesure de saisir les pratiques actuelles issues du numérique.
La régulation du secteur – où, historiquement et économiquement, le rôle de l’État est prégnant et fondamental – doit nécessairement prendre la mesure de l’expansion massive des plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime et des services de vidéo à la demande comme Youtube, qui continuent de profiter d’une régulation à deux vitesses.
Au-delà de l’asymétrie normative entre les acteurs numériques et les acteurs historiques en matière de fiscalité, de règlements et d’obligations de financement de la création cinématographique, le rapport dresse le constat de l’échec des politiques de lutte contre le piratage des œuvres en ligne.
La réactivation de la lutte contre le piratage : les nouveaux pouvoirs de la HADOPI
Une partie importante des propositions contenues dans le rapport porte sur l’avenir de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et le piratage des œuvres sur Internet.
Le rapport fait état du chiffre de 1,35 milliard d’euros de pertes pour l’industrie liées à la consommation de contenus audiovisuels illicites, soit l’équivalent du chiffre d’affaires des exploitants de cinéma.
Alors que soixante-cinq millions de vidéos illégales sont consultées chaque mois en France, et que seize millions de plaintes d’ayants droit ont été adressées à la Haute autorité en 2017, seules quatre-vingt-huit amendes ont été infligées, dont une seule dépassant le montant de 2.000 euros.
Ainsi, le texte propose de doter la HADOPI d’un pouvoir de « transaction pénale », qui serait proposée par l’autorité puis homologuée par le procureur, afin de renforcer les pouvoirs de sanction de la Haute Autorité.
De fait, quelle que soit son efficacité, l’octroi d’un tel pouvoir à la HADOPI dans le cadre d’une procédure de réponse graduée permettrait à l’autorité d’infliger des sanctions aux internautes auteurs d’actes de piratage d’œuvres, sans avoir nécessairement recours à l’autorité judiciaire préalablement.
Par surcroît, le rapport préconise l’établissement d’une liste noire des sites pirates par la HADOPI qui permettrait d’assurer l’identification des sites miroirs ou de contournement et ainsi l’application concrète et pérenne des interdictions et des condamnations des sites pirates.
Vers la fusion du CSA et de la HADOPI pour former une autorité unique de régulation des contenus audiovisuels ?
Avant même la remise du rapport pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) avait présenté, le mardi 11 septembre dernier, un rapport intitulé Refonder la régulation audiovisuelle contenant vingt propositions pour changer le cadre général fixé par la loi de 1986.
Dans un exercice relativement rare de la part d’une autorité administrative indépendante, le CSA avait profité de l’opportunité politique ouverte par la transposition de la directive SMA pour affirmer son statut de régulateur des contenus sur Internet, qu’ils soient audiovisuels ou non.
Les vingt propositions alors formulées par le CSA contenaient notamment l’extension le champ de la régulation du Conseil aux grandes plateformes numériques : les plateformes de vidéo à la demande par abonnement comme Netflix ou Amazon Prime, les réseaux de partage comme YouTube ou Facebook, et les plateformes de streaming audio, comme Spotify ou Deezer.
Le rapport remis par la députée Aurore Bergé le 4 octobre va également dans le sens de l’augmentation des pouvoirs du CSA en matière de régulation des contenus sur Internet, notamment au terme d’une proposition de fusion du Conseil avec la HADOPI.
La Rapporteure justifie ce projet de fusion par l’apport de l’expertise technique et juridique de la HADOPI au CSA pour assurer ses missions de contrôle du respect des conventionnements des chaines et des stations, de sauvegarde de pluralisme et de protection des publics sur Internet.
La mise en place d’une autorité unique dédiée à la régulation des contenus audiovisuels, quel que soit le média, se justifie dans un contexte où il est nécessaire de rompre avec l’asymétrie normative et de mettre en place des moyens et des procédures pour lutter contre le piratage.
De plus, les pouvoirs de régulateur du CSA pourraient également s’étendre aux plateformes numériques dans le cadre de plusieurs autres projets de lois et de reformes actuellement en discussion.
C’est notamment le cas du projet de loi contre les « Fake news », dans sa dernière version adoptée par l’Assemblée Nationale le 9 octobre 2018, qui confère un pouvoir de régulation au CSA dans la lutte contre les « fausses informations » diffusées par les opérateurs de plateforme en ligne.
Par ailleurs, le rapport Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, remis le 20 septembre dernier, évoque la création d’un département du CSA dédié à la lutte contre les contenus violents et offensants sur Internet observant que « les actuels travaux de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) tendent à élargir encore davantage les compétences du CSA au monde du numérique ».
Ainsi, la fusion du CSA et de la HADOPI pourrait potentiellement permettre l’avènement d’une autorité administrative à la mesure des enjeux que représentent les nouveaux acteurs du numérique, pour l’audiovisuel et le cinéma français.
Il faut a minima espérer que la prochaine grande loi audiovisuelle sera à la hauteur de l’urgence actuelle et que les autorités administratives indépendantes se saisiront de leurs nouveaux pouvoirs pour remédier tant à l’asymétrie normative que combattre le piratage des œuvres sur Internet.