Sydney CHICHE-ATTALI & Emmanuel PIERRAT

Les marques qui apparaissent dans les productions télévisuelles et cinématographiques sont l’objet de tracas ou d’envies de la part des producteurs.

Certains d’entre eux choisissent de pixéliser et de camoufler les marques susceptibles d’être visibles ou citées à l’écran, tandis que d’autres ont pour habitude de reproduire les marques sans jamais demander d’autorisation aux sociétés concernées. Quand quelques-uns négocient leur apparition…

L’art du camouflage

Avant de faire apparaitre ou de citer une marque à l’écran sans autorisation de son propriétaire, il est nécessaire de mesurer les risques juridiques d’une telle reproduction.

En effet, face à ces reproductions, les propriétaires de marques bénéficient de plusieurs recours fondés notamment sur le droit des marques, le droit d’auteur ou même la diffamation et le dénigrement.

S’il est risqué d’incorporer une marque dans un programme audiovisuel sans accord de son titulaire, il peut également être périlleux de reproduire une marque dans le cadre d’un reportage ou d’un film dénonçant des pratiques d’une société ou de son personnel.

Par exemple, en 2018, un dirigeant d’entreprise s’était fondé, entre autres, sur le respect de la marque de son entreprise, pour demander l’interdiction de diffusion d’un reportage de l’émission Complément d’enquête qui révélait des accusations de harcèlement sexuel portées par une de ses salariées à son encontre.

La Cour d’appel de Paris avait confirmé l’interdiction du reportage en juin 2018 estimant que le programme portait atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée du dirigeant, notamment par l’identification précise de la société et la reproduction de sa marque.

Marques et termes génériques

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) définit une marque comme « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ».

La reproduction d’une marque sans autorisation peut donc ouvrir droit, pour le titulaire de la marque, à une action en contrefaçon.

Or, de nombreuses marques sont devenues des termes génériques utilisés pour désigner des produits et services dans le langage courant.

« Meccano », « caddie » ou encore « frigidaire » sont autant de marques usitées par le grand public et citées dans les films ou dans les émissions de télévision comme des termes génériques.

Ainsi, l’utilisation croissance des marques comme termes génériques à la télévision ou au cinéma est source de contentieux récurrents.

Les marques redoutent, en effet, par-dessus tout ce que les spécialistes appellent la « dégénérescence ». Rendre une marque générique, c’est la faire entrer dans le vocabulaire courant, à un point tel que son titulaire perd tout droit sur la précieuse dénomination.

Le syndrome « Pédalo/Frigidaire », du nom de ceux qui, parmi les plus célèbres, ont fait les frais de cette règle de droit, n’est jamais loin ; et les marques ont d’ailleurs la gâchette de plus en plus facile contre l’emprise de la vie quotidienne sur leur notoriété.

Omniprésence des marques

La force du droit des marques est telle que, paradoxalement, par une intéressante mise en abîme, les dénonciateurs de cette emprise s’exposent juridiquement, par la mention ou la reproduction des signes litigieux. Décrire la vie contemporaine, l’économie, la politique, la rue, les faits divers ou encore le contenu d’un réfrigérateur, c’est aussi et surtout faire apparaitre et citer des marques, désormais omniprésentes.

Il est également difficile aujourd’hui de filmer une scène en centre-ville sans faire apparaitre la marque d’un supermarché ou d’une berline…

Ainsi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), a répondu à cette question posée par le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), la Guilde des scénaristes, et la Confédération des producteurs audiovisuels (CPA).

Dans cette réponse accessible sur le site de la Haute Autorité, le CSA affirme que le floutage des marques ne semble pas nécessaire dans le cas où les marques ou produits présents en extérieur sont visibles sur des images prises sur la voie publique, dans la mesure où les marques sont seulement entrevues et qu’une certaine pluralité est assurée.

Cette observation du régulateur vaut tant pour un documentaire que pour une fiction, dont le souci de réalisme est prédominant. En effet, le fait d’apercevoir quelques marques lors de plans extérieurs permet de renforcer l’impression de réalité.

Cependant, le CSA précise que les marques et produits visibles doivent apparaître de façon brève et non répétée, et que ce type de plans doit être bien justifié par le scénario, afin d’éviter des placements de produits dissimulés.

Détournement

Journalistes, auteurs, réalisateurs, et producteurs accusent également les entreprises de détourner l’objet et la finalité des règles protectrices des marques, afin de museler, par exemple, le libre droit de critique à l’encontre de leur politique sociale. En effet, aux termes de l’article. L. 713-2 du CPI, « sont interdits, sauf autorisation du propriétaire (…) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque (…), ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ». C’est donc la concurrence, cherchant à tromper le consommateur moyen, qui est visée en premier lieu.

Mais le droit des marques s’impose aujourd’hui dans bien d’autres situations. Ainsi, l’article L. 713-5 du CPI protège les marques notoirement connues ou « jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement », dont l’usage « engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ». Le droit des marques permet donc à son titulaire d’interdire toute utilisation du signe distinctif.

Paradoxe

Un tel type de contentieux illustre le paradoxe des marques, qui cherchent de plus en plus à envahir l’univers visuel et sonore, mais recourent sans cesse à la justice. Dans le même registre des atteintes au nom, rappelons les quelques affaires qui apparaissent sporadiquement, mettant en scène des homonymes de personnages.

Il est bien évident que l’absence de confusion possible entre le plaignant et le personnage suffit à écarter la responsabilité du réalisateur ou du producteur. Les tribunaux ne condamnent les réalisateurs et les producteurs sur le fondement de l’atteinte au nom que si une confusion et un préjudice (c’est-à-dire la présentation du personnage sous un jour négatif) sont établis.

Et une clause de mise en garde (« toute ressemblance… ») peut constituer un début de protection efficace, si elle ne sert pas à déguiser une intention de nuire. Autant dire qu’il vaut mieux prévenir que guérir et s’inquiéter de cela par anticipation lors de la préparation du scénario…

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