Sydney Chiche-Attali et Emmanuel Pierrat

Adapter ou s’inspirer ? telle est la question, économique, marketing et forcément juridique.

Les tribunaux doivent, sans relâche, faire le compte des éléments communs et déterminer si le traitement de telle fiction ou documentaire relève du pillage ou est imposé par le sujet choisi. 

Or, près de 20 % des films de cinéma seraient des adaptations de livres. L’actualité de l’audiovisuel est marquée par les annonces d’adaptations de best sellers par les grands studios de production. A la fin de l’année 2018, Netflix a par exemple annoncé en grande pompe l’acquisition des droits d’adaptation d’œuvres emblématiques de Roald Dahl ou de la saga livresque Le Monde de Narnia.

Pourtant, certains producteurs économes sont parfois tentés de contourner les maisons d’édition et de faire réécrire le scenario sans acquérir les droits. Ils s’exposent alors à une condamnation pour contrefaçon, comme en témoigne une riche jurisprudence.

Les juristes spécialisés s’accordent à dire qu’une œuvre littéraire est formée de trois éléments : l’idée, la composition et l’expression. 

L’idée seule n’étant pas protégeable par le droit d’auteur, la contrefaçon d’une œuvre littéraire ne pouvant porter que sur la composition ou sur l’expression, ou sur les deux à la fois. La composition désigne l’essence, la trame, l’« histoire » en quelque sorte, et l’ensemble des éléments qui la forment : péripéties, enchaînement des événements, scènes, caractéristiques des personnages, etc.


Le cas emblématique de Autant en emporte le vent

Pour déterminer s’il y a ou non contrefaçon de la composition d’une œuvre, il convient de découper le scénario du livre en un nombre de scènes clés et de comparer. L’affaire Autant en emporte le vent qui a opposé Régine Deforges aux héritiers et à l’éditeur de Margaret Mitchell fournit un assez bon exemple de cette méthode, fréquemment employée en justice. 

Les diverses juridictions qui sont intervenues dans cette affaire ont analysé notamment les caractères des personnages, la toile de fond, le contexte, les situations et les scènes des deux romans. 

La cour d’appel de Versailles, à la fin de 1993, a estimé en dernier lieu que l’ensemble des éléments du roman de Régine Deforges était imposé par le contexte librement choisi de la Seconde Guerre mondiale. Quant à certains éléments communs, les juges les ont considérés tout au plus comme des idées de libre parcours, par conséquent non appropriables et ne pouvant être revendiqués par les héritiers Mitchell.

La ligne de crête entre adaptation et reprise d’éléments non originaux

Les tribunaux doivent donc faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi.  On ne peut par exemple interdire à un scénariste situant l’action d’un film en Afrique du Nord d’y incorporer une scène dans un souk.

De même, existe-t-il des exceptions dues au fonds commun de la littérature, des éléments devenus si banals qu’ils ne peuvent plus présenter d’originalité que dans leur expression. Ainsi, dès le début du XXème siècle, un tribunal a justement rappelé que Courteline ne pouvait s’approprier le thème du mari qui fait preuve de faiblesse vis-à-vis de sa femme adultère. 

C’est un processus semblable à celui qui frappe, par exemple, les oeuvres historiques dont l’auteur a décidé de suivre, le plus simplement qui soit, un plan chronologique. 

Les adaptations de quelque sorte que ce soit (d’un livre en un film ou un autre type d’œuvre ou, inversement, d’une pièce en un roman) sont bien évidemment susceptibles d’être poursuivies pour contrefaçon. La publication en bande dessinée et en cassette audio, sans autorisation, d’un roman d’Agatha Christie en constitue, par exemple, une contrefaçon.    Quant à l’expression, seconde cible possible d’une contrefaçon littéraire, il s’agit tout simplement du choix des mots, de la façon d’écrire…

Il est bien évident qu’il convient de faire là aussi la part entre les termes obligés, imposés par le sujet, et ceux qui relèvent d’un véritable choix original de la part de l’auteur. On ne peut reprocher à un auteur l’emploi de termes usuels.

Cela ne signifie nullement que l’utilisation des mêmes exemples soit autorisée, ni que le piratage des phrases et des expressions originales élaborées par d’autres soit libre.    

Il est donc normal que la jurisprudence se montre plus sévère vis-à-vis de publications où rien ne justifie de fortes similitudes entre les œuvres : roman, théâtre, cinéma…

Enfin, si les mots courants peuvent être repris par tous sans difficultés particulières, il n’en est pas de même pour l’utilisation de noms de personnages ou de titres qui peuvent présenter en eux-mêmes une véritable originalité. Ainsi l’adjonction du sous-titre L’Impossible Histoire ne permet-elle pas d’écarter la contrefaçon du titre principal, Paris sur crime.

La question de la contrefaçon se pose également, lorsqu’un auteur choisit d’écrire un livre fondé sur une œuvre audiovisuelle, que cet ouvrage consiste en une analyse scientifique ou en une adaptation.

D’un Bureau des légendes à l’autre

En avril 2018, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris a dû trancher cette question au sujet d’un livre intitulé Le Bureau des Légendes – Politique du secret qui proposait une analyse de la série télévisée Le Bureau des Légendes.

Le producteur de la série demandait au juge d’interdire la promotion, la sortie et la vente de l’ouvrage en ce qu’il aurait porté une atteinte à la marque « Le Bureau des légendes ».

Le juge des référés avait alors rejeté la demande estimant que l’utilisation du signe « le Bureau des Légendes » dans le titre de l’ouvrage ne faisait que désigner l’ouvrage en tant qu’œuvre littéraire autonome, elle-même, indépendante de la série audiovisuelle dont il propose une analyse scientifique.

Cette décision, même si elle se plaçait essentiellement sur le terrain de la marque, nous intéresse en ce qu’elle révèle les latitudes laissaient aux auteurs en matière d’analyse d’œuvres audiovisuelles.


L’exemple récent d’une adaptation contrefaisante d’un roman autobiographique au cinéma

Par une décision du 22 mars 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a tranché un litige dans lequel l’éditeur d’un livre autobiographique dépeignant le pouvoir politique en Iran se disait pillé par un producteur très économe et peu scrupuleux.

La maison d’édition, demandeur à l’action, arguait que la structure narrative, les lieux, les personnages ou encore les ellipses – au total 68 passages de l’ouvrage… – avaient été repris illicitement. 

Sans surprise, le producteur plaidait les différences entre son film et le livre.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler quelques fondamentaux caractérisant la contrefaçon d’une œuvre littéraire, même issue de la non-fiction.

Dans cette décision, les juges ont estimé que le thème commun et le caractère biographique « impliquent nécessairement des similitudes tenant aux faits relatés eux-mêmes, aux lieux où ils se déroulent ainsi qu’à leurs protagonistes principaux ».

Mais les magistrats du Tribunal de Grande Instance de Paris ont estimé que les similitudes dépassaient le cadre de simples réminiscences, trahissant une « source d’inspiration commune ». Ainsi, le jugement en avait conclu qu’« Il se déduit de ces éléments que le film (…) procède bien de l’adaptation de l’œuvre littéraire (…) sans l’autorisation de la société (…) cotitulaire des droits d’adaptation audiovisuelle sur le livre, et constitue à ce titre une contrefaçon. »

Au final, près de 34 scènes soit la moitié des passages incriminés, ont été jugés contrefaisants.

En conséquence, le jugement a octroyé 15 000 euros de dommages-intérêts à la maison d’Edition, et a ordonné des mesures de publicité du jugement notamment au bulletin de déclaration du film à la SACD.

L’adaptation d’une œuvre doit être traitée en amont afin d’envisager l’acquisition des droits d’adaptation de l’œuvre première ou a minima et à défaut la relecture du scénario pour le purger des éléments contrefaisants…

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